L'éDITO DE L'AFTER: LABRUNE, DéLéGUé DE CRASH

C’est la période redoutée des conseils de classe. Pour le délégué c’est délicat, il est pris entre deux feux. D’un côté les promesses de défendre au mieux ses électeurs: un dîner de classe? Facile à organiser (au MacDo), pas d’enjeu d’affrontement avec les profs (qui s’en fouttent tant que c’est pas organisé chez eux). Et puis les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Aucun risque de désaveu. Chacun paie son BigMac. La réélection n’est pas en danger. De l’autre côté, stratégie plus subtile: flatter les profs tout en sur-vendant son bilan. L’intérêt est double: ménager l’avenir sans s’aliéner la base. Ce qui compte ce n’est pas d’obtenir gain de cause (ça intéresse qui, en vrai, sur quelle chaîne sera diffusé le foot la saison prochaine?) mais de faire semblant de contester un scénario dont on est soi-même responsable. Machiavel au collège Jacques-Chirac.

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Incontestablement, c’est cette seconde stratégie qu’avait choisi Vincent Labrune flanqué de son adjoint Arnaud Rouger — moins docile qu’à l’habitude — pendant les 2h42 d’audition face à la commission d’enquête sénatoriale en charge d’y voir plus clair dans la "financiarisation du football". Derrière ses lunettes embuées et les multiples "vous avez raison Monsieur le Sénateur" qui introduisaient chacune de ses réponses, on devinait la sueur qu’avait versé le président de la LFP dans les séances de préparation. Ce n’est pas tous les jours qu’il faut rendre des comptes à des gens qui n’ont pas voté pour vous. Son précédent passage en 2022 face à la commission de la culture de l’institution n’était pas resté dans les annales de l’éloquence. Cette fois-ci, le flatteur se l’était juré: il serait poli, respectueux, docile face "à la représentation nationale". Problème, sous l’obséquiosité pointe un fait massif : la défiance.

Bande d’ingrats

Il n’a pas fallu attendre longtemps (une petite heure) avant de voir remonter les habituels soupirs, sourcillades, recoiffages intempestifs, le tout ponctué par des moues dubitatives de Rouger, quand Michel Savin s’était permis d’insister sur le plan d’affaire abracadabrantesque qui avait servi de stratégie à son principal instigateur et de somnifère à ceux qui l’avaient validé: 1 milliard d’euros annuels pour un championnat de seconde zone. Telle est la conclusion implacable et à laquelle l’audition revenait sans cesse. Si l’on peut concevoir un scénario à la baisse des revenus (comme partout ailleurs), si l’on peut admettre que les contraintes de l’appel d’offre sont à revoir, on ne doute à aucun moment que le produit ait été surévalué. Sciemment? C’est le grand tabou autour duquel ces auditions tournent. Tout cela n’aurait eu aucune importance si un diffuseur avait été entre temps déniché et qu’il s’était acquitté de la somme dite. Or, non seulement ce n’est pas le cas à l’heure où on l’écrit cet édito, mais les diffuseurs potentiels se sont ravisés soit par manque de retombées évidentes (Amazon), soit par défiance à l’égard des interlocuteurs (Canal+), soit enfin par simple principe de réalité (DAZN).

Bien sûr, quand il s’est agi d’évoquer le salaire et les "gratifications" du président de la LFP et de son délégué, messire Labrune n’a pas manqué de souligné "l’accord exceptionnel" de naming avec MacDonald’s ou bien la prouesse d’avoir créé une société commerciale (dont il est également président) en compagnie d’une société luxembourgeoise et de laquelle les principaux délégataires (les clubs) ont été soigneusement écartés. Sur quelle base mesurer la valeur du travail effectué ? Sur le plan d’affaires, bien sûr. Après tout 3 millions de prime, un salaire triplé par son principal client (50% sont refacturés à CVC qui apparemment n’était pas au courant), 37,5 millions d’euros de frais d’avocats ("ils sont chers à Paris"), 1000 euros par jour de frais ("il aime bien manger" rigole Kita l’après-midi), sur un total d’1,5 milliard de fonds levés et 1 milliard de CA annuel prévu, c’est pas cher payé. Sous-entendu : vous devriez nous remercier au lieu de nous envoyer à confesse, bande d’ingrats.

127 millions le siège

On taperait des deux mains s’il s’agissait d’une start-up à la mode. On aurait même été prêt à bosser l’accent californien pour mieux aller taper les ricains chez eux à grand renfort de technologies "made in France". Quand l’argent est privé, le marché doit pouvoir s’exercer librement. On peut le regretter, le saluer, on peut trouver ça beaucoup, pas assez, peu importe, l’économie est libre. En tout cas pour l’instant. Non, ce qui est plus gênant dans cette affaire — tel est le sens de l’intervention des Sénateurs — c’est de rappeler que l’organisation d’une compétition relève d’une délégation de service public et que les revenus générés par celle-ci n’ont pas exactement le même statut qu’une vente de hamburgers.

A ce titre, organiser un plan d’affaire avec désinvolture, rémunérer des dirigeants d’une compétition sur une levée de fonds (ce n’est pas le cœur de leur métier) sans contrat de diffusion (il est là le cœur de leur métier), engager des dépenses (changement de siège à 127 millions d’euros) sans garantir les recettes et finalement renâcler à rendre des comptes aux parlementaires, tout cela, pose un problème éthique évident. Devant Waldemar Kita et Louis Nicollin, Michel Savin, cinglant, résumait assez bien le malaise qui entoure ces auditions "on n’a pas créé une société commerciale pour financer les banquiers, les avocats et les membres de la LFP". Vivement la rentrée des classes (et les prochaines élections).

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