Quelques jours après le sommet Corée-Afrique qui s’est tenu à Séoul, Park Ji Hyun, ambassadrice coréenne, fait le point sur les relations entre son pays et Madagascar. Selon ses dires, la Corée considère la Grande île comme un partenaire principal. Ceci, en raison de son positionnement stratégique qui relie l’océan Indien et l'Afrique. Interview.
- Comment pourrait-on définir l’état de la coopération entre la Corée et Madagascar actuellement ?
La Corée et Madagascar n’ont pas cessé de promouvoir les relations d'amitié et de coopération dans divers domaines comme la politique, l'économie, la culture et la coopération au développement depuis la normalisation des relations diplomatiques en 1993. L'ouverture de l’ambassade de Corée à Madagascar en 2016 a marqué un tournant décisif dans l’approfondissement des relations bilatérales entre nos deux pays. Depuis lors, le gouvernement coréen a continué à soutenir l'émergence de Madagascar dans différents secteurs : la santé, l'environnement, l'énergie, les infrastructures, la sécurité publique, la résilience face aux catastrophes, entre autres. À titre d'illustration, je voudrais citer l’installation des Centres de Gestion des Risques et des Catastrophes dans vingt-deux régions pour le BNGRC, l'ouverture de LA2M et le don de matériel médical, l'aide humanitaire d'urgence apportée au Sud et aux sinistrés des cyclones, le don de motos aux Forces de l’ordre, la modernisation des douanes malgaches, le projet PRIRTEM et le projet de conservation de la biodiversité et de gestion durable des ressources naturelles(BIOCOM). Madagascar est un partenaire principal de la Corée, surtout dans notre stratégie Indo-Pacifique en raison de son positionnement stratégique qui relie l’océan Indien et l'Afrique. Ainsi, l'importance stratégique de Madagascar devient de plus en plus croissante pour la Corée. La signature du protocole d'accord sur l'établissement du cadre pour la promotion du commerce et des investissements (TIPF) en 2023 témoigne de cet intérêt grandissant pour Madagascar. Il s’agit du premier TIPF que la Corée a conclu avec un pays africain. Je suis certaine qu’il servira à un nouveau cadre de coopération entre nos deux pays pour faire face ensemble aux enjeux différents comme la crise de la chaîne d'approvisionnement, la numérisation et le changement climatique. En outre, le Sommet Corée-Afrique tenu les 3 et 4 juin à Séoul a permis à nos deux pays de rehausser à un niveau plus élevé la coopération bilatérale ainsi renforcée au cours de ces longues années.
- Pourriez-vous expliquer brièvement le résultat du Sommet Corée-Afrique au point de vue des relations entre la Corée et Madagascar ?
Le Sommet Corée-Afrique a marqué le premier sommet multilatéral organisé par la Corée avec l'Afrique. Il a réuni trente-trois chefs d'État et de gouvernement provenant de quarante-huit pays africains, ainsi que des représentants de quatre organisations internationales de la région, dont l'Union africaine (UA) et la Banque africaine de développement (BAD). Sous le thème “L’Avenir que nous construisons ensemble : Croissance partagée, Durabilité et Solidarité”, le Sommet était également une occasion de partager avec les pays africains les expériences du développement économique de la Corée, qui a connu une ascension fulgurante d’un pays pauvre au rang des puissances économiques mondiales aujourd’hui et d’affirmer sa volonté de renforcer davantage la coopération avec l’Afrique.
D’ailleurs, la Déclaration Commune a été adoptée à l’issue du Sommet comme le document final, précisant ainsi les domaines de coopération de manière concrète sur la base de ces trois axes. Tout d’abord, pour la croissance partagée, le gouvernement coréen a annoncé son soutien pour la mise en œuvre de la Zlecaf, l'élargissement de son aide publique au développement à hauteur de 10 milliards USD à l’horizon de l’année 2030, et le financement des exportations de 14 milliards USD pour encourager les investissements des entreprises coréennes en Afrique. À cela s’ajoute la mise en place de l’initiative Tech4Africa pour appuyer le renforcement des capacités numériques des jeunes grâce à la technologie numérique coréenne.
En ce qui concerne la durabilité, la Corée va renforcer la réponse collective avec les pays africains pour relever ensemble les défis globaux comme le changement climatique et la biodiversité. Pour la solidarité, la Corée a déclaré sa participation plus active aux efforts visant à renforcer la sécurité et la paix en Afrique, et ce, surtout à l’occasion de sa prise de fonction en tant que membre non-permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU pour le mandat 2024 et 2025, ainsi que sa coopération plus étroite sur la scène internationale avec les pays africains pour préserver la sécurité et la paix mondiales. Enfin, les pays participants se sont convenus sur la tenue de la réunion des ministres des Affaires étrangères entre la Corée et l’Afrique en 2026 afin d’évaluer le progrès réalisé et de discuter sur la possibilité de la tenue du prochain Sommet.
Au niveau des relations bilatérales entre la Corée et Madagascar, je suis convaincue que la visite du président Rajoelina en Corée dans le cadre du Sommet, notamment la première visite en Corée d’un Président malgache, a marqué un tournant crucial en vue du raffermissement du partenariat entre nos deux pays. De plus, je suis convaincu que la Corée est un partenaire fiable et important pour Madagascar dans ses efforts pour réaliser les trois piliers de la Politique Générale de l'État : le capital humain, l'industrialisation et la bonne gouvernance. Durant le Sommet, les deux MOUs sur la coopération agricole et les minéraux critiques ont été signés, et l'élargissement du nombre des boursiers du gouvernement coréen, la gestion des ressources en eau, le projet de coopération en matière d’emploi ont également été discutés. Je pense que tout cela a posé un jalon vers le renforcement de la coopération entre nos deux pays.
- Comment ces deux mémorandums d’entente sur l’agriculture et la prospection de minéraux critiques vont-ils s’articuler ?
Tout d’abord, le MOU sur la coopération agricole a pour but d’atteindre l'autosuffisance en riz, aliment de base des Malgaches, et d’améliorer la sécurité alimentaire à travers l'augmentation de la productivité rizicole à Madagascar. Ce MOU comprend, plus précisément, l'établissement de complexes de production du riz avec les semences de qualité, la promotion de la technologie de production de semences, l'amélioration des systèmes de production et d'approvisionnement en semences de riz, l'échange d'informations sur la politique agricole, entre autres. Cet accord servira à une base solide pour mettre en œuvre le projet K-rice belt à Madagascar, un projet qui est actuellement mené dans sept pays africains comme au Ghana, Sénégal, Kenya et Cameroun.
Ensuite, le MOU sur les minéraux critiques stipule la coopération avec Madagascar, pays réputé pour sa richesse en ressources minières. Il s'agit des activités de coopération pour assurer la stabilité de la chaîne globale d'approvisionnement en minéraux critiques telles que l'échange d'informations sur les politiques minières, la coopération technique et le renforcement des capacités dans le domaine des minéraux critiques, l'élaboration des projets d'exploration conjoints et la collaboration du développement des minéraux critiques. J’espère que cet accord établira les bases vers la coopération gagnant-gagnant entre nos deux pays face au défi commun de l'insécurité de la chaîne d'approvisionnement en matière minière.
Durant la participation de la délégation malgache au Sommet Corée-Afrique, le président Andry Rajoelina a visité l’usine de traitement de Séoul K-water. L’opportunité d’un partage de compétences et d’une coopération pour résoudre le problème d’approvisionnement en eau potable à Antananarivo et les autres grandes villes du pays a été discutée à cette occasion. Comment concrétiser cette intention ?
Le centre de traitement d’eau que le Président a visité est une station d'épuration intelligente de la K-Water, qui produit 260,000m3 d'eau à usage quotidien et industriel et assure l’approvisionnement en eau aux villes des alentours. La technologie de l'intelligence artificielle (IA) s'applique à tout le processus de la production et de l’approvisionnement en eau potable. Lors de la visite du président Rajoelina de ce centre, le renforcement de la coopération entre les deux pays pour répondre à la pénurie d'eau à Madagascar a été effectivement discuté.
La Corée gère les ressources en eau avec la technologie de l'IA, et mène divers projets d’aide au développement comme la construction des stations d'épuration dans plusieurs pays en développement. La K-Water, notre agence de gestion des ressources en eau, s'intéresse à la gestion d'eau et à la mise en place du système de traitement de l'eau à Madagascar. À ma connaissance, les discussions entre la K-water et le ministère de l'Eau, de l'Assainissement et de l'Hygiène (MEAH) malgache sont déjà en cours. J’ai cru comprendre que les deux parties élaboreront les mesures de coopération concernant la gestion de l'eau. J'ai récemment rencontré le ministre du MEAH afin de discuter sur les mesures de coopération pour résoudre le problème du manque d'eau à Madagascar. L'ambassade n'épargnera pas ses efforts pour appuyer la concrétisation de cette coopération entre la K-Water et les autorités malgaches concernées.
- En termes de coopération au développement, quels sont les domaines d’activités de la Corée ?
Malgré l'absence du bureau de Koica (Agence coréenne de coopération internationale) à Madagascar, l'ambassade de Corée met en œuvre plusieurs projets de coopération dans divers domaines tels que l’environnement, les douanes, l’énergie, la santé, l’aide humanitaire tantôt en collaboration avec les organisations internationales comme l'Unesco et le PAM, tantôt dans le cadre de la coopération bilatérale.
Il y a tout d’abord le projet de conservation de la biodiversité et de gestion durable des ressources naturelles (Biocom, 6 millions USD) que nous menons dans les régions de SAVA et Atsinanana avec l'Unesco. Les activités concernent l'amélioration de l'environnement des parcs nationaux via la reforestation, le développement des sources de revenus de la population locale, la sensibilisation et le renforcement des capacités sur la protection de l’environnement, etc.
Ensuite, nous avons aussi le projet d’amélioration du système douanier Malgache (5,7 millions USD) qui porte sur la modernisation du système de dédouanement électronique, le renforcement de capacité et d’appui opérationnel et l’expansion de la technologie de l’information et de la communication au niveau des services douaniers. S'y ajoute le projet mis en œuvre avec le PAM pour la lutte contre la malnutrition chronique (6,5 millions USD) dans neuf communes y compris Ampanihy et Amboasary.
Il y a également le projet d'interconnexion et de renforcement des réseaux de transport d'énergie électrique à Madagascar (PRIRTEM, 55,8 millions USD). Il s'agit de la construction des deux sous-stations à Tana Nord II et Ambohibary, mais aussi de la formation sur la gestion et le maintien de ces infrastructures, ce qui contribuera à la mise en place des réseaux électriques plus efficaces à Madagascar. À part ces projets, l’ambassade de Corée continuera à explorer de nouvelles opportunités de coopération au développement avec le gouvernement malgache.
- S’agissant des activités de l'ambassade, quelles sont vos prochaines activités que ce soit diplomatique, culturelle ou économique ?
Au niveau des activités diplomatiques, tout d'abord, l'ambassade souhaiterait renforcer davantage le dynamisme de la coopération entre la Corée et Madagascar que le Sommet Corée-Afrique 2024 a créé. Nous allons collaborer étroitement avec différentes autorités concernées, y compris le ministère des Affaires étrangères, pour concrétiser les deux MOUs signés à l'occasion du Sommet.
L’Ambassade fera également le suivi d’autres projets qui ont été discutés. En particulier, le projet K-rice belt me tient à cœur, car le projet vise à augmenter la productivité agricole, ce qui conduira à l'amélioration du niveau de vie de la population agricole avec la création d'emplois et l’augmentation des revenus des ménages agricoles. Tout cela contribuera à accompagner Madagascar dans son ascension au rang des pays émergents. Ensuite, en matière culturelle, l'ambassade prépare des festivités culturelles variées pour présenter la culture coréenne surtout aux jeunes Malgaches à l’instar de l'année dernière où nous avons célébré le 30e anniversaire du rétablissement des relations diplomatiques entre nos deux pays. D'ailleurs, à partir du 28 juin au 20 juillet, sous la rubrique « le Mois de la culture coréenne », l'ambassade organise des animations telles que le concert de la musique, le K-pop festival et le festival des films coréens.
Le concert de musique qui se tient les 28-29 juin constitue le coup d'envoi de cette période culturelle. Cet événement sera d'autant plus significatif qu’il se tient durant la semaine des festivités de la célébration de la Fête de l'indépendance de Madagascar. À cette occasion, l'ambassade a invité un groupe musical coréen qui est reconnu à l'échelle mondiale. Ils jouent de la musique moderne avec des instruments traditionnels coréens, tout en créant la combinaison particulière du classique et de la modernité. La performance du groupe musical traditionnel malgache est également prévue lors du concert. Je suis convaincue que le concert deviendra le lieu de l'amitié, mais aussi d'un vrai échange culturel qui harmonise la musique et la tradition de nos deux pays.
En fait, la Corée et Madagascar partagent des similarités culturelles, probablement en raison de leurs origines asiatiques. En outre, pour répondre aux intérêts et aux passions des Malgaches pour la Kculture et la langue coréenne, l'ambassade continue de promouvoir l'apprentissage de la langue coréenne. Elle projette également d'organiser diverses activités, telles qu'une journée de cours de Taekwondo ou des événements de K-pop.
... la Corée est un partenaire fiable et important pour Madagascar ...
Ravo Andriantsalama