TVA SUR LES CARBURANTS : LE FLOU DU RN

Les Etats membres de l'UE peuvent abaisser le niveau de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur l'électricité et le gaz jusqu'à 5%, mais pas la TVA sur les carburants : ils contreviendraient sinon à leurs obligations européennes. Pourtant, la promesse d'une baisse de la TVA sur l'essence et le diesel, de 20% à 5,5%, reste au coeur du programme du Rassemblement national (RN) pour les législatives des 30 juin et 7 juillet 2024. L'ex-candidate à la présidentielle Marine Le Pen assure qu'elle serait appliquée dès "juillet", de manière "pérenne", pour toutes ces énergies, y compris les carburants, si le président du parti Jordan Bardella était Premier ministre. Mais en vertu des textes européens visant à harmoniser la fiscalité des 27 pays membres de l'UE, les carburants ne peuvent pas bénéficier d'un taux réduit de TVA, ont confirmé la Commission européenne et des experts. La baisse temporaire à 8% opérée par la Pologne en 2022, cas régulièrement cité par Jordan Bardella, était intervenue dans le contexte exceptionnel de la crise énergétique. Pour certains experts toutefois, la France pourrait réduire une autre taxe, la TICPE, tout en se conformant à la législation européenne - une procédure qui prendrait néanmoins plusieurs mois selon eux, pour une baisse seulement temporaire.

Alors que le pouvoir d'achat reste une préoccupation majeure des Français, le RN promet de réduire la facture énergétique des Français. Baisser la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 20% à 5,5% sur les carburants, l'électricité, le gaz et le fioul était une proposition phare de Marine Le Pen lors de la présidentielle de 2022 (archive), proposition que l'AFP avait alors déjà vérifiée. La mesure est deux ans plus tard toujours au coeur du programme du parti d'extrême droite emmené pour les législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 par son président Jordan Bardella, qui brigue le poste de Premier ministre si le RN en sort vainqueur.

"Notre première mesure sera de baisser la TVA de 20% à 5,5% sur le carburant, l’électricité, le gaz et le fioul. Elle permettra de rendre directement du pouvoir d’achat aux Français, pris à la gorge par les factures d’énergie et les prix à la pompe", a assuré Marine Le Pen le 22 juin 2024 sur X (archive). 

Le programme du RN pour les législatives, visible sur son site internet, place bien la "baisse de la TVA sur l'ensemble des produits énergétiques" dans une première partie intitulée "Temps de l'urgence - de juillet 2024 à l'automne 2024", avec un calendrier resserré : un "PLFR 2024", c'est-à-dire un projet de loi de finances rectificative en 2024, et une "session extraordinaire" du Parlement la même année (archive). 

Jordan Bardella a souligné le 24 juin lors de sa conférence de presse de présentation de ce  programme que la baisse de la TVA sur les énergies, dont le carburant, serait réalisée "dès l'été", "par l'intermédiaire d'un projet de loi de finances rectificative" (archive). 

Ce sera même fait en "juillet", et ce sera "pérenne"a assuré Marine Le Pen le lendemain sur France 2, sans faire de distinction entre les carburants et les autres énergies - alors que, nous le verrons, l'Union européenne ne prévoit pas les mêmes dispositions en matière de TVA pour l'essence et le gazole d'une part, l'électricité et le gaz d'autre part (archive).

En France, les taxes sur les carburants, dont celle sur la valeur ajoutée (TVA) et celle sur la consommation sur les produits énergétiques (TICPE), représentent environ 60% des prix de l'essence et du gazole (archive).

Evoquant les prix à la pompe, Jean-Philippe Tanguy, le "Monsieur économie du RN", a fait valoir le 21 juin sur RTL que les Français sentiront les effets de la baisse de TVA promise dès leur départ prochain en vacances d'été (archive).

Mais comme nous allons le voir, si la législation européenne permet bien une TVA réduite jusqu'à 5,5% sur le gaz et l'électricité, elle ne le permet pas pour les carburants, dans un souci d'harmonisation de la fiscalité entre les 27 Etats membres. Et si la Pologne, exemple régulièrement cité par les responsables du RN, dont Jordan Bardella et Jean-Philippe Tanguy, a bien pu réduire la sienne en 2022, à 8%, c'était dans le contexte exceptionnel de la crise énergétique, et cela n'a duré que quelques mois.

La TVA peut être réduite à 5,5% sur le gaz et l'électricité

Une directive européenne de 2006, révisée en avril 2022, fixe le cadre européen en matière de taux de TVA (archive).

Elle établit dans son article 97 que le "taux normal" de TVA "ne peut être inférieur à 15%". Elle prévoit en outre dans son article 98 la possibilité d'appliquer "au maximum deux taux réduits", d'au moins 5%, à une liste de 29 catégories de biens et services répertoriés dans une annexe. 

C'est l'annexe III qui définit cette liste de biens et services susceptibles de se voir appliquer des taux de TVA réduits à au moins 5%. On y retrouve la "fourniture d'électricité, de chauffage urbain et de refroidissement urbain, ainsi que de biogaz", et, "jusqu'au 1er janvier 2030, le gaz naturel" :

Le gaz naturel, l'électricité et les réseaux de chauffage ont été ajoutés dans cette annexe lors de la révision de la directive en 2022, a rappelé la Commission européenne dans un email à l'AFP le 25 juin. Avant cela, les Etats membres souhaitant appliquer un taux réduit sur ces produits et services devaient consulter le comité de la TVA, un organisme composé de fonctionnaires rattaché à l'exécutif européen et dont le rôle est purement consultatif (archive). Mais ce n'est donc désormais plus nécessaire, a confirmé la Commission.

La révision de 2022 a permis d'"ajouter des produits vertueux pour l'environnement, notamment l'électricité produite par des énergies renouvelables. Il est possible de baisser la TVA sur ces  types de produits", a expliqué Vincent Couronne, enseignant chercheur en droit à l'Université Versailles St-Quentin-en-Yvelines et fondateur du média de vérification juridique Les Surligneurs, le 24 juin à l'AFP (archives 1, 2).

Il n'y a "pas de limite temporelle" pour l'application de taux réduits sur ces biens et services, a souligné la Commission européenne auprès de l'AFP.

La proposition du RN d'une TVA réduite à 5,5% sur l'électricité et le gaz serait donc bien applicable, sans qu'il soit nécessaire de demander une dérogation à l'Union européenne.

Pas de taux réduit de TVA pour les carburants

Mais il n'en est pas de même pour les carburants : aucune trace de ces produits dans la liste définie par l'annexe III de la directive TVA de 2006. Cela empêche donc tout Etat membre de l'UE de l'abaisser à 5% sur l'essence ou le gazole.

"Les carburants ne peuvent pas bénéficier d’un taux réduit", a confirmé la Commission européenne à l'AFP.

Abaisser la TVA sur les carburants à 5,5%, "ce n’est pas du tout possible", a abondé Vincent Couronne.

"On n'a pas le droit comme ça de passer la TVA de 20% à 5,5% sur les carburants", a souligné Nicolas Goldberg, associé énergie chez Colombus Consulting et responsable énergie au sein du think tank Terra Nova, de tendance social-démocrate, le 17 juin 2024 sur RMC (archives 1, 2). Le faire serait donc "illégal", en a -t-il conclu.

"Quand la France parle, l'Europe doit suivre"

Sur RTL, le 21 juin, Jean-Philippe Tanguy, le "Monsieur économie" du RN, a toutefois expliqué que le parti comptait entrer dans une "négociation" avec la Commission européenne sur les carburants, négociation qui sera "ardue" a-t-il reconnu, avec la nécessité de mettre en  place un "rapport de force" pour obtenir une "dérogation temporaire" et baisser la TVA "dès cet été", avant une "dérogation définitive", plus "difficile à négocier".

"Si on sent que l'UE est réticente, on baissera d’abord la TICPE [taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, NDLR], mais l'objectif final, c'est bien de baisser la TVA. La France est la deuxième contributrice de l’UE : quand la France parle, l'Europe doit suivre", a fait valoir un responsable du RN auprès de l'AFP le 24 juin.

Mais "dans la directive TVA, il n'y a pas de possibilité de demander de dérogation" sur les carburants, souligne Vincent Couronne. Et pour cause : le texte vise à harmoniser la fiscalité au sein de l'Union, car "si chaque Etat membre pouvait baisser les impôts sur les carburants comme il le voulait, chacun ferait du dumping, des Etats mettraient des taxes très faibles sur le carburant pour faire venir les entreprises chez eux - ce qui aboutirait à priver les budgets des Etats de recettes fiscales".

La directive TVA entend en outre "favoriser des consommations vertueuses pour l'environnement", souligne Vincent Couronne, dans le cadre du Pacte vert qui vise la neutralité carbone de l'UE en 2050 (archive). 

Baisser la TVA sur les carburants à 5,5% "serait donc en l'état irréalisable" et "exigerait de renégocier la directive au Conseil et au Parlement européen, où le groupe parlementaire Identité et démocratie (ID), auquel est affilié le RN, ne dispose que de 58 sièges sur 720 à l'issue des élections européennes de juin 2024", a écrit Simon-Pierre Sengayrac, professeur d'économie à l'Université Paris Dauphine, dans un article publié le 24 juin 2024 sur le site de la Fondation Jean-Jaurès, think tank classé à gauche (archives 123).

Dans Le Monde, Marine Le Pen a toutefois esquissé un scénario : "Dans l'attente de négocier à Bruxelles l'autorisation de baisser la TVA sur le carburant à 5,5% , nous l'abaisserons au taux intermédiaire autorisé, soit 15%, et nous baisserons l'accise – en l'occurrence la TICPE - du montant équivalent" (archive). 

Pour Vincent Couronne, il pourrait être possible de demander à Bruxelles une dérogation pour pouvoir réduire la TICPE, qui est un "droit d'accise", un impôt indirect, sur les carburants, comme le permet l'article 19 de la directive européenne de 2003 sur les droits d'accise (archives 1, 2). Mais la procédure prendrait selon lui plusieurs mois.

Le cas de la Pologne, dans un contexte exceptionnel

En conférence de presse ou dans les médias, les responsables du RN citent par ailleurs régulièrement l'exemple de la Pologne, qui aurait selon eux abaissé sa TVA sur les carburants "à 8,5%", a affirmé Jordan Bardella lors d'un débat télévisé d'avant-premier tour le 25 juin sur TF1 (archive). Une "dérogation" qui a selon Jean-Philippe Tanguy, le 21 juin sur RTL, duré "plus de 18 mois".

Mais si la Pologne a effectivement pu faire passer sa TVA sur les carburants de 23% à 8% pendant une dizaine de mois, entre février et décembre 2022, c'était pour faire face à l'envolée des cours du pétrole et à la crise énergétique intervenue dans le sillage de l'invasion de l'Ukraine par la Russie (archives 1, 2). Une décision exceptionnelle dans un contexte exceptionnel.

L'UE avait alors adopté des règles exceptionnelles et temporaires dans le cadre du plan REPowerEUl'Allemagne avait baissé sa TVA sur le gaz, le Portugal les taxes ou droits d'accise sur les carburants (archives 1, 2, 3).

A l'instar d'autres gouvernements en Europe, le gouvernement polonais avait mis en place un "bouclier anti-inflation" prévoyant entre autres mesures une baisse de la TVA sur les carburants (archives 12). Le site internet de son ministère des Finances indique bien que cette baisse était temporaire (archive).

"A l'époque, aucune dérogation n'était nécessaire car il y avait une crise du carburant et les prix de toutes les sources d'énergie montaient en flèche", a rappelé Andrzej Szczęśniak, expert dans le domaine énergétique, à l'AFP le 26 juin (archive).

Depuis, le taux polonais de TVA sur les carburants est revenu à 23% au 1er janvier 2023.

Financement imprécis, objectifs climatiques compromis

De manière générale, les propositions du RN visant à faire baisser la facture énergétique des Français sont par ailleurs critiquées par des instituts économiques marqués à droite comme à gauche parce que le financement du manque à gagner de plusieurs milliards d'euros qu'induiraient ces réductions de taxes est jugé imprécis par les économistes, ou parce que ce type de mesures risquerait de compromettre les objectifs climatiques de la France (archives 1, 2).

Résultat, les promesses du RN dans l'énergie ne seront pas tenables, sauf à manquer d'électricité et réchauffer un peu plus la planète, ont expliqué des experts à l'AFP (archive).

Concernant par exemple la seule électricité, outre la baisse de TVA, Jordan Bardella a indiqué le 24 juin vouloir engager "immédiatement" des négociations avec Bruxelles pour rétablir "un prix français de l'électricité" dérogeant aux règles européennes de tarification et dépendant moins du marché européen de l'électricité. Or, "la facture d'électricité des ménages étant composée pour un tiers de taxes, un tiers de coûts de réseau et un tiers d’électricité, en réalité, les deux tiers de la facture ne dépendent pas du marché", a souligné par exemple le think tank Terra Nova.

L'AFP a déjà vérifié ces derniers mois des affirmations fausses ou trompeuses relayées par des responsables du RN, comme iciiciici ou bien encore ici.

Dans cette campagne pour les législatives 2024, l'AFP a par ailleurs démontré que des affirmations fausses ou trompeuses circulaient, notamment sur les réseaux sociaux (123).

2024-06-28T08:44:00Z dg43tfdfdgfd