SORé, AU MARCHé DE LA CôTE D’IVOIRE, LE LIVREUR DU BLED… NOTRE SéLECTION DES NOUVELLES éPICERIES FINES AFRICAINES DE PARIS

Traditionnellement implantées dans le quartier de Château Rouge, les échoppes alimentaires africaines font peau neuve. Et attirent autant la diaspora que les bobos.

Rue de Marseille, dans le très branché 10e arrondissement de Paris. Au milieu des concept-stores écoresponsables et made in France se nichent deux boutiques qui portent le nom de Soré (« cuisiner », en soninké). La première – une « cantine nouvelle africaine », comme il est indiqué sur sa très chic façade blanche – est ouverte en continu. La seconde est qualifiée d’ « épicerie nouvelle africaine » et on devine, derrière ses grandes vitrines aux contours bleu pétrole, des étalages bien achalandés.

Chez Soré, tiep et saka saka

Ces deux établissements ont vu le jour en septembre 2022, non loin du canal Saint-Martin. Et ce n’est pas un hasard. « Je détonne dans le paysage, en tant que femme noire, s’esclaffe Sophie Behar Coulibaly, la pétillante patronne de ce concept deux en un. Je voulais montrer que l’Afrique a toute sa place dans ce quartier tendance, emblématique de la vie culturelle parisienne. »

Depuis son ouverture, Soré accueille un public métissé, composé de « connaisseurs africains, qui retrouvent les goûts authentiques de chez eux, et d’une clientèle « de destination et de découverte ». Saka saka (plat à base de feuilles de manioc bouillies), mafé carné et végétarien, poulet DG, tiep… Ici, pas de cuisine revisitée ni de propositions fusion, mais des plats traditionnels, sans chichi et bien exécutés, à des prix abordables (de 12,90 € à 14,90€), présentés en vitrine à la manière des traiteurs asiatiques.

À lire À Paris, des entrepreneurs « afros » se lancent dans des projets gastronomiques « zéro déchet »

Avec ses tables en bois clair, ses nattes colorées au sol, ses plantes vertes, ses petites touches de déco en raphia et sa fresque murale aux traits féminins l’ambiance afro se pique de modernité et de coquetterie.

Même soin et même sens du détail au coin épicerie. Sur les étalages gris anthracite de cet espace de 50 m2 sont proposés des produits pour la plupart bio ou labellisés « commerce équitable », au packaging étudié. « Je voulais casser l’image des épiceries afro parfois mal tenues et aux mauvaises odeurs. On ne doit pas souffrir pour acheter nos produits », grince Sophie Behar Coulibaly.

Si elle fait appel à des grossistes pour les « classiques », tels que les bouillons de légumes ou la bière, l’entrepreneuse passe par des intermédiaires qui travaillent avec des coopératives et des agriculteurs ou par la vente directe pour les produits fins : café, poivres et chocolats de Madagascar, miel et fruits secs.

« Certaines épiceries respectent la date limite de consommation mais ne sont pas toujours clairs sur la traçabilité. Les produits sont-ils transportés et stockés dans de bonnes conditions ? s’interroge-t-elle. C’est à nous de changer la perception et de montrer que l’Afrique peut respecter les règles d’hygiène et de présentation. »

À lire Maffé, yassa, sakay, doro wat : Mom Koumba met l’Afrique en boîte

Dans les rayons, on trouve aussi des sauces artisanales prêtes à l’emploi pour reproduire facilement les plats traditionnels proposés au restaurant, des huiles, des céréales (fonio, mil, sorgho…) ainsi qu’une dizaine de références en vins sud-africains. « Pas un seul établissement, à Paris, ne propose ce genre de concept », avance cette Malienne d’origine, qui observe plutôt une transformation en banlieue parisienne, avec la récente ouverture d’AFK (à Évry-Courcouronnes) et de La Case exotique (à Carrières-sous-Poissy) – deux épiceries fines africaines qui misent sur la qualité des produits.

Au Marché de la Côte d’Ivoire, une nouvelle génération

À Château Rouge, sorte de bastion parisien de la diaspora africaine et environnement donc nettement plus concurrentiel, des exceptions confirment la règle. Rue Doudeauville, coincé entre les boutiques de tissu wax et les échoppes « exotiques », Au marché de la Côte d’Ivoire se distingue. Super-aliments, épices, fruits secs, snacks, infusions, céréales et cosmétiques naturels sont élégamment disposés sur des présentoirs en bois ou dans des bocaux de verre.

Cet espace de 13m2 aux allures d’apothicaire moderne a été refait à neuf. « Comme vous l’avez remarqué, il n’y a pas d’indicatif devant le numéro de téléphone inscrit sur la devanture », signale Yohann Abbe, 32 ans. Diplômé d’une école de commerce, il a fait ses armes dans le secteur associatif avant de reprendre la boutique de ses parents, ouverte en 1994.

« J’ai fait des travaux de rénovation au début de 2020, seule la façade d’origine est restée. J’ai cherché de nouveaux packagings et j’ai travaillé sur l’identité visuelle pour mettre en valeur les produits », explique-t-il.

À lire Gastronomie : nos cinq meilleures tables africaines à Paris

Depuis, sa clientèle s’est diversifiée, « même si la clientèle d’origine se dit qu’elle n’est peut-être plus dans la cible », note-t-il. Si certains franchissent le seuil, attirés par l’esthétique du lieu, d’autres redoutent la cherté des produits. « Ils ne sont pas tous forcément plus chers qu’ailleurs, prévient Yohann, mais ils sont de meilleure qualité. » Le kilo d’attiéké, par exemple, est vendu 5,90 euros, soit environ 2 euros plus cher que la moyenne. « Certaines boutiques du quartier achètent en gros, par conteneurs, et congèlent la marchandise. Je me fais livrer chaque semaine et je vends des produits frais », soutient le jeune patron, qui passe par une coopérative de femmes à Abidjan. Il travaille aussi avec des producteurs et avec des agro-transformateurs du nord du pays (Korhogo) pour le miel et le beurre de karité.

Le Livreur du Bled, boutique hybride

Pour satisfaire tous les publics, Hamel Tchakui parie, lui, sur un modèle hybride. « Quand on a ouvert Le Livreur du Bled, en 2021, on nous appelait les bobos du 16e », se souvient cet ingénieur de formation.

À quelques mètres du Marché de la Côte d’Ivoire, rue des Poissonniers, sa boutique aux allures de Biocoop afro est divisée en deux. À gauche, l’épicerie fine. Comptoir de caisse fabriqué à partir de palettes recyclées, chariots et étals en bois, emballages soignés, rayonnages bien rangés… On est loin des habitudes du quartier. « Je voulais en finir avec la mauvaise image que l’on a de Château Rouge. Avec la Mairie de Paris et avec l’organisme privé Semaest, qui accompagne les entrepreneurs à la recherche de locaux, on a travaillé pour diversifier les propositions du secteur », raconte ce fils de Camerounais, diplômé des HEC.

La partie droite, un peu à l’écart, est réservée aux produits bruts (tubercules, légumes…), aux conserves et aux poissons surgelés. « Au début, je ne proposais rien de tout cela, mais les mères de famille étaient demandeuses car elles n’avaient pas de repères dans la partie épicerie fine. Elles voulaient retrouver leurs produits habituels emballés dans du plastique et pas dans du kraft. Il a fallu équilibrer l’offre pour s’y retrouver économiquement », concède le trentenaire, qui a également dû abandonner l’offre en vrac, faute de ventes. Aujourd’hui, tout le monde s’y retrouve.

À lire Tendance : le succès de l’épicerie fine africaine

Ce jour-là, un couple de quadragénaires, cheveux raides et cendrés, achète des copeaux de coco, des chips de banane et des graines de moringa. « Les Occidentaux représentent 30% à 35% de ma clientèle », glisse Hamel Tchakui. Une femme, en boubou, cherche des bananes plantain pour accompagner ses safous (prunes du Cameroun).

Les produits proposés font la part belle aux entrepreneurs africains ou d’origine africaine (90% de l’offre). La plus emblématique d’entre elles ? Joe & Avrels, que la cheffe franco-congolaise Nathalie Schermann a créée en 2016. Une marque spécialisée dans des créations apéritives (crème de safou triplement médaillée par le Prix Épicure de l’épicerie fine, velours de gingembre ou de noix de cola…), également distribuées en ligne. La gamme Ibémi revisite le fonio, classique et complet, ou sous forme de propositions originales, comme ses chips saveur yassa ou mafé, peu grasses et sans gluten.

« On travaille avec l’écosystème des jeunes entrepreneurs afro. Le miel naturel Heka a été lancé par un Béninois ; les confitures et tapenades des Délices du Congo ont été créées par une jeune Congolaise qui travaille le safou ; les épices Seniatna ont été développées par un jeune Tunisien », énumère Hamel, qui, importe de quatre pays (Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire et Ouganda).

C’est dans son pays d’origine que lui et Junior Ngunda, son associé, s’attellent à créer un modèle vertueux, de la récolte à la transformation par le biais d’une coopérative. Tout se fait sur place. Le duo a développé une filière de manioc qui inclut une vingtaine d’agriculteurs et garantit un approvisionnement de qualité et en continu.

« On a changé la manière de cultiver, en passant d’une agriculture agressive à une agriculture progressive. Le plus important, c’est aussi de créer des emplois et de la valeur en Afrique », insiste le patron, qui observe également un sursaut dans le quartier depuis l’ouverture de son magasin. « Les commerçants font des efforts, les boutiques sont plus propres, notamment grâce à la nouvelle génération. La transformation est lente, mais elle est réelle ».

Soré – Cantine et épicerie africaines

4-6, rue de Marseille, Paris 10e

Au Marché de la Côte d’Ivoire

66, rue Doudeauville, Paris 18e

Instagram : aumarchedelaciv

Le Livreur du Bled

46, rue des Poissonniers, Paris 18e

AFK

36, rue Nettie Stevens 91000 Évry-Courcouronnes

La Case exotique

435, avenue de l’Europe, 78955 Carrières-sous-Poissy

2024-04-19T09:54:36Z dg43tfdfdgfd