L’AFRIQUE PRISE D’ASSAUT PAR LES CAMPAGNES DE DéSINFORMATION

En août 2023, alors que la Cedeao menaçait à l'époque d'intervenir au Niger, plongé dans une crise majeure à la suite du renversement du président Mohamed Bazoum, une vidéo a commencé à circuler en parallèle sur la Toile, montrant trois rafales accompagnés d'un gros transporteur circulant sur un tarmac où étaient parqués des avions portant le logo de la compagnie Air Sénégal. Publiée par plusieurs internautes pour montrer que « des avions de l'Otan [venaient] d'atterrir à Dakar pour enlever les militaires qui sont actuellement au pouvoir au Niger », cette séquence de plus d'une minute, prise à l'origine en novembre 2021 selon AFP Factuel, a très vite été partagée des milliers de fois sur Internet, suscitant une large vague d'indignation. Objectif des auteurs, une volonté affichée de désinformer et manipuler l'opinion. Un phénomène qui est loin d'être un cas isolé sur le continent.

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Quelle est l'étendue du phénomène ?

Du Niger au Soudan en passant par l'Afrique du Sud et la Côte d'Ivoire, une prolifération de fausses informations gagne le continent. Ainsi, le Centre d'études stratégiques de l'Afrique estime qu'« au moins 39 pays africains ont été la cible d'une campagne de désinformation spécifique où celle-ci a tendance à se concentrer [sur] la moitié des pays victimes de désinformation (20 sur 39) [...] ciblés trois fois ou plus, alors qu'ils n'étaient que sept à atteindre ce seuil en 2022 ».

L'Afrique de l'Ouest par exemple, mentionne le centre de réflexion basé à Washington aux États-Unis, « la région la plus ciblée par la désinformation, avec près de 40 % des campagnes de désinformation documentées sur l'ensemble du continent, a été la victime de plus de 72 campagnes ciblant 13 pays dont environ la moitié de ces attaques ont, sans surprise, un lien avec la Russie, » à l'image du Mali où «  ces campagnes sont souvent produites à l'échelle industrielle avec des effets toxiques sur les récits diffusés et la teneur des conversations en ligne ».

Cependant, force est de constater qu'elles ne sont pas uniquement le fait d'agents étrangers, elles peuvent aussi provenir d'acteurs internes. Comme l'écrit le chercheur Samba Dialimpa Badji pour le contexte sénégalais, « lors de la campagne pour la présidentielle 2019, les deux camps, pouvoir comme opposition, ont eu recours aux fausses informations, soit pour discréditer l'adversaire, soit pour exagérer un bilan ».

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L'effet des réseaux sociaux

Une dynamique qui s'est accentuée, poursuit-il, « ces dernières années en raison notamment de la multiplication des moyens de diffusion et de partage de contenu, grâce principalement aux réseaux sociaux ». Pour en comprendre l'ampleur, pas besoin de s'attarder sur de grandes statistiques, un rapide coup d'?il sur quelques chiffres suffit.

Ainsi, une étude du Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa (Cipesa) publiée en mai 2022 souligne « que 33 % du 1,37 milliard d'habitants de l'Afrique sont connectés à Internet et une majorité d'entre eux utilisent les plateformes des médias sociaux, avec environ 255 millions d'actifs sur Facebook uniquement ». Un nombre de personnes connectées qui croîtra pour atteindre le chiffre de 1,1 milliard d'utilisateurs selon les derniers chiffres publiés par Statista en mars 2024.

Pas étonnant, dans ce contexte, que les personnes malintentionnées privilégient entre autres les réseaux sociaux pour diffuser, parfois de manière massive, de fausses nouvelles sur des plateformes comme TikTok, devenue la deuxième la plus utilisée sur le continent, ou WhatsApp. En Afrique du Sud par exemple, « une étude commanditée par la Fondation de la famille Ichikowitz a montré que de plus en plus de fake news sont diffusées sur Internet, ce qui porte atteinte au droit à l'information de près de 90 % des jeunes du continent », indique le sociologue Roméo Saa Ngouana dans son analyse intitulée « Combattre et comprendre la désinformation en Afrique ».

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Des initiatives qui se développent sur le continent

Pour enrayer ce pullulement de fausses nouvelles, plusieurs initiatives ont vu le jour sur le continent. Du côté des autorités, des pays, à l'image du Bénin, « ont mis en place « Anti-fakenews.bj », la plateforme nationale de lutte contre la propagation des fake news, avec l'appui de l'Agence pour le développement du numérique et de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) », souligne le chercheur.

Au Sénégal, « il existe quelques initiatives de lutte contre les fausses informations. Il s'agit d'organismes comme Africa Check impliqués dans le ?fact-checking? et l'éducation aux médias. Toutefois, ces initiatives n'ont pas encore un grand impact, en raison notamment d'une audience limitée. Il s'agit d'initiatives qui méritent d'être soutenues et vulgarisées, avec notamment le recours aux langues nationales pour toucher un public plus large », conclut Samba Dialimpa Badji.

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