FESTIVAL D’AVIGNON 2024 : NOTRE SéLECTION AFRICAINE

Paroles de femmes à Mayotte, liens entre Afrique et flamenco, lutte contre l’esclavage… « Jeune Afrique » vous a sélectionné cinq spectacles à découvrir pendant le in et le off de cette incontournable manifestation théâtrale.

Pour la 78ᵉ édition du Festival d’Avignon, l’espagnol est la langue invitée et la culture hispanique mise à l’honneur. Si l’on sait que le flamenco est né en Espagne au XIXᵉ siècle, ses origines restent floues. C’est en explorant les racines profondes de la célèbre danse espagnole que la chorégraphe Yinka Esi Graves en a découvert les liens avec les populations afrodescendantes du sud de l’Espagne.

Les racines africaines du flamenco dans The Disappearing Act.

« J’ai parfois la sensation que ma rencontre avec le flamenco est liée à cette expérience d’incarnation par le corps avant tout, qui entre en dialogue avec un passé enfoui. C’est la question de l’invisibilité et de l’oubli que The Disappearing Act. prend en charge », déclare-t-elle. Née à Londres dans une famille originaire du Ghana et de la Jamaïque, la danseuse et chorégraphe tente dans son spectacle de faire remonter à la surface les histoires oubliées, de redonner corps aux populations invisibilisées, de dénoncer l’effacement des corps noirs.

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Elle convoque sur scène des artistes andalous, mais aussi anglais et français, et fait cohabiter trois langues et continents pour interroger leur histoire commune. « Depuis quelques années, les sociétés se posent les questions des positions de pouvoir problématiques, qui ont existé à travers le colonialisme, à travers le commerce transatlantique des esclaves. On commence à y faire face et à se demander comment gérer cela, sans détourner le regard. » Entre camouflage et résistance, Yinka Esi Graves transforme l’acte de disparition en geste artistique.

The Disappearing Act., de Yinka Esi Graves, du 18 au 21 juillet, à 22 heures, cour du lycée Saint-Joseph

Récits d’Afrique et d’Haïti avec « Ça va, ça va le monde ! »

Après les yeux, ce sera maintenant aux oreilles et à l’imaginaire d’être charmés grâce au cycle de lecture « Ça va, ça va le monde ! », proposé par le Festival d’Avignon, en collaboration avec RFI. Chaque jour, du 16 au 21 juillet, six pièces écrites par des auteurs et autrices de pays africains et d’Haïti seront lues dans la cour du Musée Calvet. Le cycle s’ouvrira avec le texte À cœur ouvert de l’auteur camerounais Éric Delphin Kwégoué, un thriller sur la liberté de la presse, inspiré par l’affaire Martinez Zongo, journaliste camerounais mort assassiné.

Inspiré également d’un fait de société, Wilé ! de la Camerounaise Nadale Fidine développe une intrigue autour de la disparition d’enfants. Parmi les propositions, on retrouvera de la poésie avec Fifi, les tambours et les étoiles. L’autrice Stéfanie François propose un récit de résistance et d’espoir sur la situation en Haïti. Tandis que la dernière journée sera consacrée à la pièce Ne t’étonne pas si ma lettre sent le sel du Congolais Kinshasa Jocelyn Danga, sur la thématique de l’exil. L’ensemble des pièces sera diffusé en direct sur RFI, afin de s’adresser au plus grand nombre.

Cycle de lecture « Ça va, ça va le monde ! », du 16 au 21 juillet, à 11 heures, cour du Musée Calvet

Firmine Richard est Olympe de Gouges dans Olympe

Enfermée dans la cellule de la prison où elle attend la mort, Olympe de Gouges se remémore sa vie et ses combats. Écrit par le metteur en scène guadeloupéen Franck Salin, à partir des œuvres et de la correspondance de cette pionnière du féminisme, Olympe reprend vie sous les traits de Firmine Richard. Dans ce seul-en-scène prévu pour le off d’Avignon, l’actrice guadeloupéenne rend hommage avec verve à celle qui a notamment écrit la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Mêlant théâtre, danse et vidéo, avec une musique composée par Edmony Krater, ce spectacle pluridisciplinaire entend “donner voix” à Olympe de Gouges, et combattre la misogynie, le racisme et les discriminations.

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« Si Olympe de Gouges est une figure historique de Montauban, connue pour son combat pour les droits des femmes, on sait moins qu’elle s’est aussi battue pour l’abolition de l’esclavage des Noirs. C’est ce que nous voulions rappeler dans cette œuvre », raconte Franck Salin sur la scène de la chapelle du Verbe-Incarné. La pièce sera jouée du 5 au 21 juillet, dans ce théâtre qui propose une programmation centrée sur les artistes ultramarins depuis vingt-huit ans.

Olympe, par la Compagnie du Grand-Carbet, du 5 au 21 juillet (relâche les 8 et 15 juillet), à 18 h 15, chapelle du Verbe-Incarné

Paroles de Mahoraises dans Elles avant nous 

À quoi pensent et aspirent les jeunes femmes de Mayotte ? Dans Elles avant nous, pièce documentaire proposée au Festival off d’Avignon, trois comédiennes originaires de Mayotte et des Comores font entendre la voix de jeunes mahoraises : poids des traditions, aspiration à vivre sur le continent, injonctions contradictoires, liens générationnels, etc. Ces paroles intimes confessées sur la scène de la chapelle du Verbe-Incarné sont le fruit d’un travail de plusieurs années auprès des Mahoraises.

Entre 2021 et 2023, les autrices Leyla Claire Rabih, metteuse en scène et directrice de l’ENSATT à Lyon, et Morgane Paoli, se sont rendues à Mayotte pour interviewer des femmes de tous âges et animer des ateliers de théâtre. Leur but était de comprendre comment ces jeunes femmes allient leur culture musulmane, leur appartenance à la lointaine République française et leur lien à la modernité. « Il s’agissait pour nous de faire un pas de côté, un détour géographique par Mayotte pour aborder les questions de diversité et d’appartenance au sein de l’identité nationale », expliquent les autrices dans leur note d’intention. Les paroles de ces femmes sont restituées pendant une heure dans une mise en scène simple, pour que le spectacle soit reproduit partout, même dans des lieux non dédiés comme les structures sociales et scolaires de quartiers prioritaires.

Elles avant nous, de la Compagnie Grenier-Neuf, du 5 au 21 juillet (relâche les 8 et 15 juillet), à 15 h 10, chapelle du Verbe-Incarné

Identité et mémoire coloniale avec Ce qu’il faut dire

Comment fraterniser dans un pays où les héros des uns sont les bourreaux des autres ? Que signifie être « blanc » ou « noir » ? Qui a décidé que « l’Afrique » se nommerait ainsi ? D’après le texte incisif de la Franco-Camerounaise Léonora Miano, la pièce Ce qu’il faut dire questionne les relations entre l’Occident et l’Afrique, la relation à sa couleur de peau, la relation à l’autre. Présentée au Festival Off d’Avignon dans une mise en scène de Catherine Vrignaud Cohen, la pièce est jouée par la comédienne guadeloupéenne Karine Pédurand, accompagnée par la musicienne estonienne Triinu Tammsalu.

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Entre théâtre et concert, le spectacle questionne l’identité et la mémoire coloniale. « Ce qu’il faut dire sort de la pensée manichéenne pour construire une pensée complexe. Et c’est ça qui me semble essentiel aujourd’hui, explique la metteuse en scène. La simplification de la réflexion amène à des opinions qui ne sont pas construites. Avec cette nouvelle création, je questionne la relation que nous avons à l’altérité, comme miroir de notre humanité. » Pendant une heure vingt, Ce qu’il faut dire propose trois tableaux qui reprennent les trois textes du recueil de Léonora Miano, sur plateau nu. Les interprètes interpellent sur les dominations : « Ce qu’il nous faut désirer, avant même la fin de la domination, c’est l’effacement de ce qui l’a rendue possible. »

Ce qu’il faut dire, de la Compagnie Empreinte(s), du 3 au 21 juillet (relâche les 8 et 15 juillet), à 11 heures, La Reine blanche

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