TENSIONS AU KENYA: «SI VOUS AVEZ UNE BONNE CROISSANCE MAIS QUE VOTRE MONNAIE EST DéVALUéE, LA SITUATION EST INTENABLE»

Le Kenya fait face à des manifestations et des tensions importantes depuis 10 jours. En cause, un projet de loi de finances controversé qui prévoyait de lever 2,7 milliards de dollars en taxes et impôts qui touchaient largement la population. Une grogne dirigée contre les autorités, mais également contre le Fonds monétaire international (FMI), perçu comme responsable des politiques d’austérité. L’économiste bissau-guinéen Carlos Lopes, professeur à l’Université du Cap, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l'Afrique aux Nations unies, analyse cette situation pour RFI. Entretien.

RFI : Carlos Lopes, que fait le FMI pour aider les pays à sortir de la crise de la dette ?

Carlos Lopes : Le FMI, dans ce cas particulier, est en train de suivre une décision du G20, et a créé ce qu'on appelle un cadre commun de négociations des dettes. Il était supposé être une réponse aux difficultés de la pandémie. Cependant, il a montré des limites. La plupart des pays africains qui avaient la possibilité d'y adhérer ont préféré ne pas se soumettre à ce modèle. Et le Kenya est justement un des pays qui n'a pas adhéré. Mais les pays qui n'ont pas adhéré souffrent du fait qu'ils ne négocient pas leur dette autour d’une table avec tous les acteurs.

Le Kenya a beaucoup de dettes avec la Chine, avec un certain nombre d'autres pays. Et donc, négocier avec ces différents interlocuteurs est beaucoup plus difficile. Surtout dans la situation actuelle où, effectivement, les uns et les autres sont en train de se regarder pour voir lequel va être servi en premier.

Et donc, c'est la situation dans laquelle se trouve le président William Ruto. Il a hérité d'une économie avec une grande croissance. Mais, c'est une bonne démonstration du fait que la croissance n'est pas tout. Si vous avez une bonne croissance, mais que votre monnaie est en train d'être dévaluée comme c’est le cas au Kenya, effectivement, la situation est intenable.

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Les autorités kényanes renoncent donc à 2,7 milliards de dollars de ressources. Quelles sont désormais leurs options ?

Les options sont difficiles parce que je ne vois pas comment le Kenya peut se permettre de ne pas aller emprunter sur les marchés internationaux. Et en le faisant, il va avoir des taux d'intérêt extrêmement élevés étant donné l'évaluation des risques que les uns et les autres vont faire. Cette situation montre bien que les pays africains ont beaucoup de difficultés à accéder à des fonds sans payer des taux absolument prohibitifs. Dans le cas du Kenya, ces emprunts permettront de régler les problèmes à court terme. Mais il va falloir trouver une porte de sortie structurelle et je n’en vois pas d'autre, sinon diminuer un peu le train de vie de l'État, ce qui aura aussi des répercussions sociales directes.

Considérant les difficultés que rencontrent les États africains avec leur dette, est-ce que les modèles appliqués par le FMI sont adaptés ?

Le Kenya a entamé de nombreux projets d’infrastructures dernièrement et a donc fait des prêts considérables pour cela. Le fait que le Kenya n'arrive pas vraiment à servir sa dette, vient du fait qu’il y a une dévaluation importante de sa monnaie. Mais je pense que le FMI a un peu de responsabilité aussi parce que la pilule des réformes d’austérité nécessaires n'ont pas tenu en considération le fait que l'économie est à bout de souffle. Et donc, les modèles de restructuration de la dette discutés au niveau du FMI ne font plus vraiment le nécessaire pour pouvoir accommoder des résultats économiques qui sont vraiment beaucoup plus dépendants de la conjoncture mondiale que de la gestion domestique.

Personnalités politiques et populations ont beaucoup critiqué le FMI. À raison, selon vous ?

Le FMI, pendant la pandémie, a déboursé en direction de l'Afrique des montants records. Elle a aussi introduit beaucoup plus de flexibilité qu'auparavant. Donc, on ne peut pas estimer que le problème, c'est le FMI en tant qu'institution. Le problème est plutôt systémique. C'est-à-dire que le FMI suit des règles qui sont dictées par les plus puissants et les plus puissants ne veulent pas vraiment changer les déboursements des différents types de fonds calculés sur la base de quotas. Ces quotas donnent à l'Afrique à peu près 5% de tout ce qui est approuvé au FMI. 5% ce n'est rien du tout.

L'autre problème que nous avons, c'est que nous sommes en train d'imaginer des solutions pour régler la dette africaine. Mais tous les pays du monde sont en train d'avoir des problèmes de dettes. Et l'Afrique, par rapport à la taille de son économie, a les dettes les plus petites du monde. Donc la raison pour laquelle elle se trouve dans cette situation, c'est parce qu’elle paie des taux d'intérêts beaucoup plus élevés que tout le monde. C'est parce qu'il y a une évaluation des risques qui met à profit le transfert de capitaux vers des pays dits plus consolidés. Et c'est parce qu'il y a des règles prudentielles qui sont introduites dans les banques internationales qui les obligent à déserter le marché africain parce que trop risqué. Et donc cette combinaison de problèmes n'est pas vraiment le fait du FMI, c'est vraiment le système financier international qui doit changer.

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