IRAN: «JE DEMANDE à TOUS D'êTRE LA VOIX DE MON FRèRE ET CELLE DE TOUS LES CONDAMNéS à MORT»

Ce 27 juin, c’est en prison que Mahmoud Mehrabi a fêté ses 36 ans. Cet ingénieur et activiste iranien a été arrêté plusieurs fois par le régime iranien. En 2017 d’abord, pour avoir dénoncé la corruption dont il avait été témoin dans sa ville, et plus récemment en 2023 pour avoir témoigné sur les réseaux sociaux des violences commises par les autorités lors des manifestations de 2022 suite à la mort de Mahsa Amini. En mai dernier, il a été condamné à la peine de mort. Sa sœur, Mahan Mehrabi, appelle à se mobiliser pour faire annuler sa peine.

RFI : Quelles sont les dernières nouvelles que vous avez de votre frère ?

Mahan Mehrabi : Mon frère est détenu à la prison centrale d’Ispahan (Dastgerd) depuis dix-huit mois. Il y a environ un mois, ma mère a pu aller lui rendre visite en prison pour la première fois depuis six mois. C’est un garçon fort et courageux. Il a été soumis à des pressions et a été torturé, il est donc psychologiquement affaibli. Par ailleurs, afin de faire encore plus pression sur lui, depuis sept mois, il est dans la section des prisonniers dangereux. Une section où se trouvent en majorité des personnes dépendantes aux drogues, où il y n’y a ni hygiène, ni bonne alimentation. Mon frère a d’ailleurs plusieurs fois protesté et demandé son transfèrement vers une autre section, mais cela n’a pas été pris en compte par les responsables pénitentiaires. 

Pourquoi votre frère a-t-il été arrêté ?

Il faut remonter à 2017. Mon frère était alors ingénieur du projet de construction de la ligne de train urbain Ispahan - Mobarakeh. Lors de ce projet, il a été témoin de beaucoup de faits de corruption de la part du personnel de la mairie de Mobarekeh, notamment des membres du conseil municipal, du président du conseil et du maire lui-même. Sur les réseaux sociaux, il a divulgué les pots-de-vin astronomiques versés et dénoncé la corruption extrême des maîtres d'ouvrage du projet. Il a été interpellé à son travail par les forces de sécurité en août 2017. Pendant trois semaines, nous n’avions plus de nouvelles de lui, nous ne savions même pas quel organe du régime l’avait arrêté. Il a été torturé, ils l’ont inculpé de nombreux chefs d’accusation, emprisonné, puis finalement libéré sous caution.

Mais il a à nouveau été arrêté en février 2023...

Lors de la révolution « Femme, vie, liberté » il a soutenu les luttes de la population, il a écrit sur les gens, il a dénoncé la répression et le meurtre de nos enfants ainsi que sur la corruption financière et morale. En février 2023, ils sont venus chez lui et, devant ma mère, l’ont emmené ainsi que toutes ses affaires, ses livres… même les souvenirs de notre père. Pendant environ 45 jours, nous ne savions pas où il était ni qui l’avait arrêté. Était-ce le corps des Gardiens de la Révolution ou les agents de la sécurité intérieure ? Nous ne savions même pas s’il était encore vivant. Début mars, il a été libéré sous caution, l’espace de 4 ou 5 heures, avant que les forces de sécurité reviennent chez lui et l’emmènent à nouveau. Pendant six mois, il n’a pu recevoir aucune visite ni passer aucun appel. Il a été mis à l’isolement, torturé et a été inculpé de 187 chefs d’accusation. Il est notamment accusé de « corruption sur terre ». Il est également poursuivi aujourd’hui par 55 plaignants privés. Ces derniers sont tous des personnes dont Mahmoud a dénoncé les pratiques de corruption. Mon frère n’a aucun lien avec aucun parti politique ni aucun groupe que ce soit. Il est seul dans sa lutte et il est aujourd’hui condamné à mort.

Votre sœur Maryam Mehrabi a également été arrêtée le 16 juin, pourquoi ?

Effectivement, cela fait neuf jours que nous n’avons pas de nouvelles de ma sœur, Maryam. Elle aussi demande la justice. Sur son profil X et Instagram, elle a dénoncé la condamnation injuste et cruelle de mon frère et celle de tous ces jeunes emprisonnés qui ont été nos voix. En réalité, son crime est de réclamer la justice. Notre famille est sous pression, ils veulent nous réduire au silence. Moi, j’ai la chance de pouvoir parler depuis l’étranger et d’être la voix de mon frère, et je demande aux gens d’être notre voix, celle de Mahmoud Mehrabi mais aussi celle de Mojahed Kourkour, de Reza Rasaei, d’Abbas Deris... et de tous ceux dont la vie est en danger.

Est-ce-que vous pensez que la médiatisation de la situation de votre frère aura une influence sur le traitement que les responsables iraniens lui réservent ?

Oui, certainement. La preuve, c'est que la condamnation à mort du rappeur Toomaj [Salehi; Ndrl] vient d’être annulée. Nous avons parlé de lui, nous avons tous été une seule voix, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, pour le soutenir. Cet élan ne doit pas être réservé à seulement quelques personnes, mais à tous les prisonniers politiques. Mahmoud Mehrabi est un des milliers qui a résisté et a dénoncé la corruption en Iran. Je pense que nous, toutes les familles qui veulent la justice, toutes celles qui ont des personnes chères en prison, devons être courageuses, nous lever et être la voix de nos proches sans avoir peur, et ce, même au sein de la communauté internationale. Il faut que le monde sache que nos enfants innocents sont en prison pour avoir parlé, pour la liberté et pour les droits de l'homme. Le monde doit savoir ce qui se passe en Iran, il faut qu’il sache que le régime exécute nos enfants. La peine de mort est un homicide volontaire, il faut autant que possible élever notre voix pour attirer l’attention sur nos enfants, et être entendus. Il faut parler pour que ces condamnations soient annulées.

Ce que vous dites, c'est que c’est l’union qui fait la force ?

L’union nous permettrait d’avancer et d’atteindre notre objectif qui est la liberté. La liberté du peuple iranien. Lors des tremblements de terre, des inondations, les Iraniens se sont toujours soutenus, indépendamment des opinions politiques de chacun, comment cela se fait-il qu’on n’arrive pas à être une seule voix pour l’Iran, notre patrie ? Qu’y a-t-il de plus important que ça, plus important que nos enfants dont la vie est en danger ? Nous devons nous réveiller et être une seule voix. J’appelle chaque personne en Iran, pour qui ce pays est cher, qui a pour objectif la sécurité, les lois et la justice, et de soutenir toute action contre la peine de mort en Iran.

Avez-vous l'espoir que la situation change pour votre frère ?

C’est l’espoir qui fait vivre. C’est ça qui fait que je vous parle alors que mon frère est condamné à mort et ma sœur se trouve en prison. Je commence chaque jour avec espoir et dors chaque soir avec espoir. L’espoir que mon frère soit libéré et que sa condamnation soit annulée.

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