CONCLUSION D’UN PROGRAMME DU FMI EN RDC, ENTRE RéFORMES CLéS ET DéFIS PERSISTANTS

À l’issue de son conseil d’administration du 3 juillet, le FMI a conclu son programme pluriannuel entamé en 2021 avec la RDC, en validant le décaissement de la 7e et dernière tranche, pour un total d’environ 1,5 milliard de dollars. C’est la première fois que la RDC va au bout d’un tel programme. Bien qu'à un rythme lent, des réformes clés ont été mises en œuvre. À cette occasion, Gabriel Leost, le représentant résident du FMI à Kinshasa, a accordé une interview à RFI.

RFI : Quelles sont les réformes clés mises en place par les autorités qui ont permis de boucler ce programme ?

Gabriel Leost : Avant de parler des réformes clés, permettez-moi de signaler un élément qui a été indispensable, c’est la volonté politique. S’engager dans un programme économique soutenu par le FMI a été une décision du président de la République. Et tout au long du programme, nous avons pu bénéficier d’un engagement au plus haut niveau de l’État et ça a clairement permis de trouver des solutions quand nous faisions face à des difficultés.

Concernant les réformes qui ont permis d’avancer dans ce programme, il y a d’abord les actions qui ont permis de préserver une certaine stabilité macroéconomique. Cela malgré un environnement interne et externe très difficile : l’impact post-Covid, la guerre en Ukraine avec des impacts sur le prix des denrées alimentaires importées, la volatilité des prix des produits miniers, l’intensification des conflits armés à l’Est et bien sûr les incertitudes liées à la période électorale.

Malgré tous ces chocs, la croissance est restée forte, la viabilité de la dette a été préservée et c’est en partie dû à une politique budgétaire relativement prudente et surtout une décision clé. C’est peut-être même la réforme clé de cette période sous programme, celle de ne plus avoir recours, depuis quatre ans, au financement monétaire des déficits. Pour être très concret, ça veut dire que le gouvernement n’a pas demandé à la Banque centrale de faire marcher la planche à billets, ce qui pourrait avoir des impacts bien sûr très déstabilisants sur la monnaie et l’inflation. Le gouvernement a dépensé strictement en basse caisse en fonction de ses ressources disponibles.

Y a-t-il eu d’autres avancées ?

Parmi les autres progrès, je peux citer une meilleure mobilisation des recettes budgétaires, même si elles restent encore globalement faibles. Une reconstitution des réserves internationales de la Banque centrale. On est passé d’à peine 800 millions de dollars au début du programme à plus de 5,5 milliards de dollars aujourd’hui. Cela donne des armes à la Banque centrale en cas de choc externe.

D’autres réformes clés lancées concernent la Banque centrale pour améliorer le cadre de sa politique monétaire, pour renforcer la stabilité du secteur financier avec la mise en œuvre d’une nouvelle loi bancaire. Également, d’autres réformes plus techniques en termes de gouvernance, qui permettent de renforcer la crédibilité et la stabilité de la Banque centrale.

Je citerai aussi, la décision de strictement limiter les paiements de l’État en espèces. C’était crucial à la fois pour se conformer à la loi anti-blanchiment, mais aussi pour limiter les pressions inflationnistes. En effet, les paiements en espèces se répercutent souvent immédiatement sur l’activité des bureaux de change.

Enfin, peut-être en termes de transparence, il y a eu quelques progrès, notamment avec la publication des contrats miniers, y compris ceux qui ont été renégociés. Ça a été le cas récemment avec le contrat mines contre infrastructures Sicomines. Et puis aussi, toujours en termes de transparence, le soutien du gouvernement aux institutions de contrôle. Il y a eu un renforcement des moyens humains et financiers de la Cour des comptes et aussi de l’inspection générale des finances.

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Y a-t-il encore des sujets de préoccupation ?

Plus que des sujets de préoccupation, je parlerais de défis qui restent très importants. Par exemple, je citais tout à l’heure comme un bon point l’exécution budgétaire en basse caisse sans recours au financement monétaire. Mais cela se fait au prix d’une exécution budgétaire qui est souvent ad hoc, avec des décisions quasiment au jour le jour, beaucoup de difficultés pour respecter les lignes de dépenses telles qu’elles ont été votées et avec des dysfonctionnements dans la chaîne de la dépense. Trop de dépenses continuent de se faire en procédure d’urgence, ce qui pose des problèmes à la fois de gestion de trésorerie, mais aussi en termes de gouvernance.

Les progrès sont aussi certainement encore trop limités concernant la qualité de la dépense. Des efforts ont été faits. On l’a vu par exemple avec la gratuité de l’enseignement primaire et on a vu aussi une progression des dépenses d’investissement. Mais les dépenses courantes restent encore prépondérantes au détriment des dépenses prioritaires comme les investissements et les dépenses sociales. L’idée, vraiment, c’est de rationaliser les dépenses non prioritaires, afin d’avoir plus « d’espaces budgétaires », pour les dépenses d’investissement : les dépenses en infrastructures, les dépenses sociales qui sont indispensables pour le développement de ce pays.

Malgré tout cela, on voit une inflation encore très élevée, estimée à 24 %.

C’est un autre sujet de préoccupation qui est aussi lié à la nécessité d’améliorer la politique budgétaire, et la coordination entre la politique budgétaire et la politique monétaire. Les pressions inflationnistes que l’on voit en République démocratique du Congo depuis un peu plus d’un an, étaient certes au départ, dues à des facteurs externes comme la hausse des prix de certains produits importés après le déclenchement de la guerre en Ukraine, mais elles sont aussi dues à des dépenses budgétaires mal calibrées ou trop imprévisibles, qui compliquent l’action de la Banque centrale pour maîtriser l’inflation.

La Banque centrale a une politique monétaire restrictive appropriée. Elle dispose d’outils pour faire face à ces pressions inflationnistes, mais elle a besoin de visibilité sur les dépenses de l’État. Il est donc indispensable d’améliorer encore les prévisions et la gestion de la trésorerie.

Parmi les sujets qui créent de l’incertitude, le conflit à l’Est. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ?

Dans les zones concernées, vous avez des impacts économiques directs de l’insécurité qui empêchent certaines activités économiques, des déplacements, l’exploitation des terres. Mais au-delà de ça, vous avez un effet d’éviction de la dépense publique, compte tenu des moyens budgétaires nécessaires pour assurer les dépenses de sécurité. C’est autant de moyens en moins pour d’autres types de dépenses.

Cela me permet d’insister sur un autre défi important, qui est aussi un sujet d’espoir tant le potentiel est là, c’est le manque de diversification de l’économie. Des investissements dans l’énergie, dans les routes, dans la connectivité en général doivent permettre une diversification qui est indispensable aujourd’hui. Les exportations sont quasiment exclusivement composées de produits miniers, à 99 %. Donc, il est vraiment indispensable de diversifier en commençant par l’agriculture, le secteur agroalimentaire et cela passe par l’énergie, l’eau, les transports, la connectivité, etc. Et pour cela, il est aussi indispensable d’améliorer le climat des affaires et d’attirer les investisseurs privés qui, malgré le potentiel incroyable d’un pays francophone de plus de 100 millions d’habitants, sont encore trop souvent découragés par des lourdeurs administratives, le manque d’infrastructures, et les pesanteurs des administrations fiscales.

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Globalement, le contexte économique semble meilleur, comment cela se ressent-il dans le quotidien des Congolais ?

Je pense que la difficulté, c’est effectivement de voir concrètement pour les populations les premiers impacts de cette stabilisation macroéconomique. C’est très difficile pour les populations de comprendre, alors que l’inflation est encore de l’ordre de 20 %, que sans les réformes qui ont déjà été mises en œuvre, sans les efforts du gouvernement et des autorités qui ont été mises en œuvre ces dernières années, cela aurait pu être bien pire. Si comme ça a été le cas dans le passé, la Banque centrale avait fait marcher la planche à billets, on aurait peut-être une inflation à 100 ou 200 %.

C’est pour ça, encore une fois, qu’il est vraiment indispensable d’améliorer les dépenses sociales et les dépenses en investissement. Parce que c’est ça qui aura un véritable impact sur les populations. Une des réalisations de ces dernières années qui a été en partie soutenue par des décaissements du FMI, c’est ce qu’on a appelé le plan de développement des 145 territoires. Ce sont des investissements au niveau des territoires, dans des centres de santé, dans des bâtiments administratifs, dans des écoles. Là, on voit un bénéfice concret.

Mais clairement, considérant les besoins, les impacts concrets sont encore difficiles à voir et c’est sans doute le principal défi des années à venir. Le FMI est prêt à continuer à jouer son rôle pour accompagner les autorités. Nous allons bien sûr continuer à dialoguer sur les meilleures politiques économiques à mettre en œuvre. Nous allons continuer à fournir de l’assistance technique. Et puis enfin, le Fonds monétaire est toujours prêt à continuer à soutenir la République démocratique du Congo avec un nouveau programme et des financements associés pour lesquels les discussions vont continuer.

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