AU SéNéGAL, OUSMANE SONKO REMONTE SUR LE RING CONTRE LES ANCIENS SOUTIENS DE MACKY SALL

Un nouveau bras de fer oppose le Premier ministre sénégalais et les députés de l’ancienne majorité présidentielle. Alors qu’il doit prononcer sa déclaration de politique générale devant les élus, Ousmane Sonko exige une mise à jour du règlement de l’Assemblée, sous peine de boycotter l’hémicycle. L’opposition dénonce une provocation visant à s’affranchir du contrôle parlementaire.

Le 24 mars dernier, l’élection triomphale de Bassirou Diomaye Faye amorçait le début d'une nouvelle ère pour le Sénégal, après plusieurs années de crise socio-politique liée aux tensions entre Ousmane Sonko et le gouvernement de Macky Sall. Un répit de courte durée : le clivage a ressurgi trois mois plus tard, ravivé par le nouveau bras de fer entre le chef du Pastef, désormais Premier ministre, et les soutiens de l’ancien président, qui disposent d’une majorité relative à l’Assemblée nationale.

Censé prononcer sa déclaration de politique générale devant les élus, Ousmane Sonko a réclamé que le règlement intérieur de l’Assemblée soit amendé pour corriger un vice de forme. Sans changement d’ici le 15 juillet, le Premier ministre a averti qu’il boycotterait l’hémicycle et présenterait son discours devant une assemblée citoyenne, composée notamment d’universitaires, d’intellectuels et d'acteurs de terrain, s’attirant les foudres du Parlement.

Règlement disparu

Cette crise bouillonnante entre l’exécutif et le législatif a débuté le 27 juin. Alors que les députés d’opposition pressent le chef de l’État de présenter devant l’Assemblée les orientations politiques de son gouvernement, l'élu Pastef Guy Marius Sagna adresse un courrier à Ousmane Sonko, lui demandant de surseoir sa déclaration de politique générale.

L’article 55 de la constitution stipule bien que le Premier ministre est tenu de prononcer ce discours devant l’Assemblée. Mais le député fait remarquer que les clauses régissant les modalités de cette déclaration, et notamment le délai – durant les trois premiers mois de gouvernance –, ne figurent plus dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale.

Ces précisions ont disparu du règlement de l’hémicycle en 2019, lorsque que l’ancien président Macky Sall a supprimé le poste de Premier ministre. Si la fonction a été rétablie en 2021, le règlement intérieur de l’Assemblée n’a, lui, pas été mis à jour depuis.

"L’affaire n’est pas nouvelle. Des députés avaient déjà interpellé le président de l’Assemblée pour signaler ce problème, mais rien n’a été fait", déplore Alioune Tine, fondateur du centre de recherche Afrikajom Center.

Menace de boycott

Le 28 juin, Ousmane Sonko saisit la perche tendue par Guy Marius Sagna. Comme le calendrier ne figure plus dans le règlement, libre à lui de fixer le sien.

Il lance un ultimatum aux parlementaires : si le texte n’est pas mis en conformité d’ici le 15 juillet, alors Ousmane Sonko prononcera sa déclaration de politique générale devant une assemblée "constituée du peuple sénégalais souverain, de partenaires du Sénégal et d'un jury composé d’universitaires, d’intellectuels et d’acteurs citoyens apolitiques". Le chef de l’État enfonce le clou : "Ce sera l’occasion d’un débat libre, ouvert et, à coup sûr, de qualité largement supérieure."

Immédiatement, le bureau de l’Assemblée contre-attaque, fustigeant des propos qui "en plus de leur caractère outrageant, constituent une menace réelle sur le fonctionnement normal des institutions de la République".

Au Sénégal, ce bras de fer entre le nouveau et l’ancien pouvoir suscite une flopée de réactions. Il ravive en particulier la flamme des proches de Macky Sall, groggy depuis la défaite de leur candidat. "Faire la déclaration de politique générale dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, devant les élus parlementaires, n’est pas seulement une obligation constitutionnelle, c’est un devoir sacré", assène Amadou Ba, candidat malheureux à la présidentielle face à Bassirou Diomaye Faye. Son camp rappelle que l’ancien Premier ministre de Macky Sall s’était, lui, plié à l’exercice au début de son mandat, en décembre 2022.

Sur la même ligne, l’éditorialiste Madiambal Diagne affirme que substituer une assemblée citoyenne aux députés équivaudrait à un "coup d’État institutionnel".

Baroud d’honneur avant la dissolution ?

Pour le politiste et sociologue Saliou Ngom, cette affaire est avant tout révélatrice des "failles institutionnelles" héritées de l’ère Macky Sall. "Il y a eu une forme de manipulation des institutions par l’ancien pouvoir, qui n’a pas respecté le cadre réglementaire et a nui à la stabilité des institutions."

La question n’est pas tant de savoir si Ousmane Sonko prononcera sa déclaration devant le Parlement mais quand, analyse le chercheur à l'Institut fondamental d'Afrique noire (Ifan) de Dakar. 

"La constitution est très claire sur ce point : il doit s’exprimer devant l’Assemblée", poursuit Saliou Ngom. "Ce que souhaite réellement l’opposition, c’est qu’Ousmane Sonko fasse sa déclaration avant septembre, échéance à partir de laquelle il lui devient possible de dissoudre l’hémicycle. Lui, au contraire, a tout intérêt à attendre pour présenter son projet devant des élus qui lui sont favorables."

Depuis sa victoire dans les urnes, le nouveau pouvoir sénégalais doit composer avec une Assemblée nationale majoritairement hostile. Mais la Constitution permet au président de la dissoudre à partir de de deux ans après son installation – soit dès le mois de septembre prochain, ce qui entraînerait des élections législatives anticipées. Une occasion en or pour Bassirou Diomaye Faye, élu dès le premier tour en mars avec 54,28 % des voix, d’obtenir un rééquilibrage de l’hémicycle en sa faveur.

Consciente de cette menace, la majorité parlementaire montre ses muscles. Pour protester contre les déclarations d’Ousmane Sonko, elle a annulé fin juin un débat d'orientation budgétaire avec le ministre des Finances. Le groupe Benno Bokk Yaakaar a également annoncé qu’il déposerait une motion de censure devant le gouvernement, ainsi qu’une proposition de loi visant à interdire la dissolution de l’Assemblée.

"En menaçant de faire sa déclaration de politique générale directement devant le peuple, Ousmane Sonko a ouvert une brèche perçue comme une provocation et qui a donné lieu à de la surenchère", déplore Alioune Tine.

"Cette idée est certes inappropriée, car non prévue par le cadre institutionnel légal. Mais si l’opposition voulait vraiment obtenir gain de cause, elle pourrait tout simplement accéder à sa demande et actualiser son règlement intérieur", souligne Saliou Ngom.

"L’opposition sait que ses démarches ont très peu de chances d’aboutir. Même si une motion de censure est adoptée, le président a le pouvoir de passer outre et de maintenir son gouvernement. Pour la majorité actuelle, il s’agit d’une tentative de la dernière chance pour exister, ressusciter l’opposition et mobiliser les militants. Quel est l’intérêt de forcer Ousmane Sonko à présenter ses orientations devant un Parlement qui va de toute façon être dissous et qui n’incarne plus la volonté du peuple ?", s’interroge le chercheur.

Alioune Tine dénonce, pour sa part, une polémique futile. "Au Sénégal, nous avons pour tradition que la nouvelle majorité accompagne la précédente, pacifiquement et en bonne entente. C’était le cas pour les précédents gouvernements." Et de conclure : "Il est très dommage que cette crise inutile n’ait pas été réglée dès le départ à l’échelle de l’Assemblée nationale."

Pour tenter de trouver une sortie de crise et permettre à Ousmane Sonko de faire sa déclaration de politique générale dans les "meilleurs délais", trois députés de la coalition Wallu, dirigée par l’ancien président Karim Wade, ont déposé mercredi une proposition de loi pour mettre à jour le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Celle-ci devrait être prochainement examinée par le Parlement.

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